vendredi 10 décembre 2010

Le budget en Egypte

Quand on arrive en Egypte depuis le Soudan, on est frappé par deux « détails » gros comme des nez au milieu de deux visages et, comme dirait Panoramix, quels nez ! D'une part, la qualité des hôtels et des repas grimpe en flèche, alors que les prix restent équivalents à ceux du Soudan, et auraient même plutôt tendance à baisser. D'autre part, les relations avec les gens se compliquent méchamment. A cela, nous voyons une explication centrale (comme le nez, compas de la figure (de style)) : le tourisme de masse. On a déjà parlé de notre effarement face aux alignements d'hôtels flottants à Assouan, alors on ne va pas enfoncer le clou, même si ça nous donnerait l'illusion que le clou en question pourrait entraîner dans le paquebot une sournoise arrivée d'eau qui l'aiderait à clouer, je veux dire à couler... Euh, enfin, bref...

Mais quand même, dans cette rubrique budget, on avait bien envie de souligner que ce tourisme de masse, s'il offre aux voyageurs fatigués une impérieuse et impériale impression de repos, grâce à de bons lits, des salles de bains privées et non privées de propreté, une nourriture variée, une douche chaude au robinet et de l'air frais à la clim, sans compter l'eau courante potable, ce tourisme de masse, donc, n'en reste pas moins le fléau que nous avions constaté à Bali, et qui se retrouve ici démultiplié, probablement parce qu'il y est encore plus massif (proximité de l'Europe) et encore plus ancien (n'oublions pas qu'Agatha Christie en personne venait y passer ses vacances). Du coup, c'est le truc habituel : quand un bus coûte 1 Egyptian Pound (EP) par personne -et notez que c'est le cas dans tous les centre-villes que nous avons visités-, le receveur annonce 10 ou 15, quand un épicier nous voit revenir plusieurs jours de suite, il augmente ses prix au fil des jours, quand on s'approche d'un site touristique, les vendeurs de souvenirs et les conducteurs de calèches ne nous lâchent pas, etc, etc. On ne va pas dresser la liste, mais vous l'aurez compris : ça tape sur le système. A tel point qu'on n'a pas eu le courage de s'arrêter à Louksor, malgré les merveilles que le site semble promettre.

Le pire, c'est que les autres Egyptiens, ceux qui ne travaillent pas dans l'industrie du tourisme, sont adorables ! Les invitations à boire le thé fusent, et on a l'impression d'être à nouveau au Soudan. Après tout, ne nous a-t-on pas dit, un jour, qu'il s'agit en fait d'un seul et même peuple ? Du coup, ce pays devient un paradoxe intéressant : des gens fantastiques mais pas grand-chose à voir à certains endroits, et ailleurs, des sites exceptionnels mais des gens exécrables avec des dollars à la place des yeux. Pas facile de tracer un itinéraire satisfaisant là-dedans !

Pour schématiser, disons que l'Egypte est un désert, traversé du Sud au Nord par le Nil, fleuve-dieu qui suscite depuis des siècles une vie foisonnante. Aujourd'hui, parallèles au fleuve, il y a les villes, les routes, la voie ferrée. Et, bien sûr, les innombrables vestiges pharaoniques qui attirent les féroces hordes en short. Car les pharaons avaient déjà bien compris le truc : sans Nil, point de salut. Le hic, c'est que ces vestiges sont tellement nombreux qu'on a du mal à trouver les villes où les pieds des touristes n'ont jamais posé la main. Alors nous, ce qu'on a fait, c'est qu'on a choisi des sites pas trop connus, pour jouir d'une paix relative dans notre quotidien : les tombes des nobles à Assouan (25 EP par personne), l'extraordinaire temple d'Edfu (60 EP par personne), les incontournables pyramides de Giza (60 EP par personne), le musée national du Caire, fascinant (60 EP par personne), le décevant musée d'art moderne du Caire (30 EP par personne). On s'est déjà régalés avec tout ça ! Vous pouvez trouver une liste des prix des autres sites en cliquant ici ; ce n'est pas tout à fait à jour, mais ça donne un ordre de grandeur. Notez que tous les sites affichent des prix officiels, imprimés en clair sur les billets d'entrée. Donc là, au moins, pas d'embrouille.

Pour se déplacer dans le pays, nous avons toujours pris le train, un modèle de ponctualité et de confort. On prenait les billets la veille, au guichet, et c'était simple comme salam aleikoum. La 3e classe, non climatisée, rappelle les trains indonésiens, avec ses fumeurs, ses vendeurs ambulants, ses mendiants et son ambiance familiale. En octobre, nous avons trouvé que la clim ne se justifiait pas, et nous avons fait dans cette classe les trajets Assouan-Edfu (10 EP par personne, 2 heures) et Edfu-Assiut (17,50 EP par personne, 6 heures). En revanche, nous avons opté pour la 2e classe pour les trajets Assiut-Le Caire (40 EP par personne, 6 heures), Le Caire-Alexandrie (40 EP par personne, 4 heures) et Alexandrie-Ismailia (30 EP par personne, 3 heures), pour bénéficier d'un confort un peu meilleur, avec des sièges inclinables un peu plus moelleux. Le paysage qui défile par les vitres s'avère assez monotone, comme savent l'être les vastes plaines plates creusées par de larges fleuves. Nous n'avons pris le bus qu'une seule fois, entre Ismailia et Nuweiba (Sinaï), pour le prix exorbitant de 90 EP par personne ; une expérience peu réjouissante, car le bus, qui ne quitte Ismailia qu'à 22h (un seul bus par jour), est parti avec deux heures de retard, pour tomber en panne au milieu de la nuit. Heureusement, nous avons été récupérés par un bus correct, qui nous a fait arriver vers 6h.

Quant aux hôtels, toujours avec salles de bains privées, ils étaient de qualités et prix variables : à Assouan, nous avons payé 70 EP pour une chambre double impeccable avec climatisation et petit déjeuner égyptien copieux (hôtel El Safa, près de la gare, avec une équipe super sympa) ; à Edfu 40 EP pour une chambre double miteuse et sale, avec ventilo poussif et draps non changés (proche du temple) ; à Assiut 100 EP pour une chambre double correcte (hôtel El Hossein, proche de la gare) ; au Caire 120 EP pour une chambre double « vintage », style grande-tante sympa, avec climatisation (inutile en cette saison), petit déjeuner égyptien un peu maigre et, malheureusement un peu envahissante, une colonie de petits cafards (hôtel Happy Dreams, proche de la gare centrale) ; à Alexandrie 150 EP pour une belle chambre double avec balcon et petit déjeuner (on ne se souvient pas du nom, mais c'était encore pas très loin de la gare, un quartier un peu bruyant). Nous avons été frappés de voir que les lits doubles n'existent pas en Egypte, ou du moins pas dans les hôtels que nous avons fréquentés, ce qui renforce notre impression que les relations de couple ne sont pas très funky, ici. Sherif, notre ami éditeur rencontré au Caire, s'est montré stupéfait d'apprendre que nos rares désaccords de couple se résolvent toujours par le dialogue. Il a également exprimé beaucoup de surprise quand nous lui avons dit que nous faisions compte commun, et que ce n'était pas rare en France : en Egypte, nous a-t-il expliqué, c'est l'homme qui pourvoit aux besoins de la famille (loyer, nourriture, carburant...), même si la femme travaille aussi. Pourtant, ses nombreux contacts et voyages en Europe l'avaient déjà mis au courant de ces particularités !

Mais pour en revenir aux hôtels, nous avons été confrontés à Assiut à une loi égyptienne qui est tue dans les zones touristiques : un couple non marié n'a pas le droit de dormir dans la même chambre. Le réceptionniste du premier hôtel où nous sommes entrés a demandé à voir notre certificat de mariage, voyant que je ne portais pas le même nom que Jérémie. En fait, il est interdit à une femme de prendre une chambre d'hôtel avec un homme qui n'est pas de sa famille (mari, père, frère). Sherif nous a appris par la suite que les jeunes mariés égyptiens reçoivent immédiatement une sorte de petite carte attestant qu'ils sont un couple officiel et légitime. Et ensuite, c'est comme notre Carte Vitale, ils la gardent toujours sur eux. Les lois sont considérablement assouplies pour les touristes, mais dans les zones qui n'attirent presque aucun étranger, elles ressurgissent avec leur glaive d'airain. A Ismailia, avant d'être hébergés par notre ami Foad, on s'est même entendu dire qu'un hôtel était plein, alors que le tableau de la réception arborait une collection de clés indiquant clairement qu'une vingtaine de chambres au moins étaient libres. Mais des gens un peu tatillons sur la loi, et surtout sur la religion, peuvent se montrer intraitables face à d'affreux mécréants aux moeurs dévoyées.

Au final, on a le sentiment que ce pays est traversé par de nombreux malaises. La religion se montre omniprésente, avec d'absurdes appels à la prière lancés par des hauts-parleurs qui grésillent et s'égosillent cinq fois par jour, comme s'il s'agissait du concours de celui qui crie le plus fort. A 4h30 du matin, réveillée par ces muezzins trop zélés, je ne pouvais m'empêcher de penser aux télécrans qu'Orwell a inventés dans 1984. Il m'a d'ailleurs semblé que l'Islam dur connaît en Egypte un succès que je n'avais pas remarqué il y a dix ans : je ne me rappelle pas avoir vu tant de femmes portant le sinistre voile noir intégral qu'elles soulèvent du bout des doigts quand elles mangent au restaurant. Quant aux autres voiles, ils sont certes de toutes les couleurs, mais ils ne laissent voir que l'ovale du visage, masquant cheveux, oreilles, cou, nuque et épaules. Seules les chrétiennes qui, souvent, portent bien en vue une croix en pendentif, semblent s'autoriser à ne pas se couvrir la tête. Le malaise est palpable lorsqu'on observe les relations homme-femme. L'anecdote du certificat de mariage le résume parfaitement : hors du mariage, les hommes et les femmes ne se fréquentent pas. Cela suscite chez beaucoup de jeunes un désarroi terrible, car ceux qui n'ont ni les moyens d'aller à l'université (où ils seraient moins soumis à des regards pesants), ni Internet pour flirter sur MSN, ni une famille réputée pour bénéficier d'un mariage arrangé, attendent désespérément un geste du ciel pour trouver leur âme soeur. Nous avons été stupéfaits d'entendre un jeune de notre âge raconter que, puisqu'il a une fiancée, il ne répond pas aux filles qui lui adressent la parole sans être accompagnées d'un homme.

Tout cela donne l'impression que l'Egypte n'est pas un pays où il fait bon vivre, ce dont les milliers de touristes qui y passent n'ont peut-être pas conscience. D'ailleurs, le tourisme de masse, exclusivement ciblé sur les ruines de palais, tombes et temples antiques, doit donner aux Egyptiens modernes la triste impression que, dans le fond, personne ne s'intéresse à eux ni à leur mode de vie.

2 commentaires:

  1. Avec tout ce blabla, j'ai oublié de dire que, lors de notre séjour en novembre 2010, 1 euro = 8 EP. Pour ma défense, je tiens à préciser que d'habitude, c'est Jérémie le super Cap'taine qui écrit les budgets, alors j'ai pas l'habitude...

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  2. tata yoyo (avec l'air s'il vous plait!)17 décembre 2010 à 15:16

    mouais moauis des excuses des excuses!!

    C'est vrai que c'est moins direct il y a des commentaires sur la vie en EGypte... en tout cas c'est trés intéresssant. J'avais déjà entendu ce gentre de remarques sur l'Egypte et encore paar des gens "touriste de masse"!

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