lundi 24 janvier 2011

La cerise sur le bateau...

Avec le retard qu’a pris le train à la frontière gréco-turque dans la nuit, nous ratons de peu la correspondance pour Athènes. Il nous faudra attendre la journée entière à Thessalonique avant de pouvoir continuer jusqu’à la capitale grecque. Par chance, il fait beau, ce qui rend le front de mer plutôt agréable, même si nous ne sommes enchantés ni par la corniche encombrée de voitures, ni par les hauts immeubles qui la bordent. D’ailleurs, nous leur tournons le dos pour nous perdre dans la contemplation des changements de lumière sur l’eau. Des Africains essaient de nous vendre des bracelets brésiliens.

Plus tard, après un pique-nique frugal, nous marchons vers une librairie que nous venons de repérer. Toute à la joie d’entrer dans la boutique, je franchis sans m’en rendre compte une piste cyclable sur laquelle, malheureusement, arrive un vélo. Perdu dans ses pensées, le cycliste ne me voit qu’à la dernière minute et freine au moment où sa roue me heurte la jambe. Plus de peur que de mal, mais je suis stupéfaite que, face à mes excuses, l’homme ne trouve rien de mieux à faire que vociférer ! Certes, j’étais dans mon tort, mais l’ayant reconnu par des excuses et étant dans l’affaire la seule personne lésée (oh, un bleu, tout au plus), je m’attendais à finir sur un sourire, fût-il contrit. Bienvenue en Europe, c’est ça ? L’Eldorado où les gens ne se parlent qu’à travers la loi ? Je me console dans la librairie, où nous finissons tout de même par entrer. Ce beau lieu, impeccablement rangé, avec des livres bien mis en valeur, et une adorable vendeuse, me rappelle qu’il existe encore des îlots protégés de la bêtise. Quoique… N’est-ce pas là où je surprends une vieille mémère en train de replier discrètement la carte routière qu’elle venait de déchirer, pour la remettre en rayon comme si de rien n’était ? Bienvenue en Europe…

Nous prenons le train pour Athènes en fin d’après-midi, heureux de nous rapprocher peu à peu de notre point d’arrivée (ou de départ, selon comme on envisage les choses). Le train est confortable, bien éclairé, propre et, devant nous, un couple d’adolescents s’embrasse à pleine langue. A Athènes, nous aurions voulu continuer notre route directement jusqu’à Patras, mais nous arrivons encore une demi-heure trop tard. Dommage, cette succession de petits loupés, car nous aurions pu être dans le ferry pour l’Italie ce soir, mais il nous faudra à la place dormir à côté de la gare. Le lendemain matin, nous profitons d’un buffet petit-déjeuner qui, enfin, nous réconcilie avec l’Europe, même si la télé et l’indifférence presque impolie de la serveuse pourraient encore nous donner matière à râler.

Faute d’explications, nous ratons presque notre train pour Patras ! Le guichetier ne nous avait pas précisé qu’il y avait une correspondance… Les gens ne communiquent donc pas, ici ? Ah, si, ils se donnent des coups de coude quand ils voient un papa asiatique jouer avec son petit garçon : « Tching tchang, Jacky Chang ! », gloussent deux hommes derrière son dos. Pas besoin de parler grec pour comprendre…

Bref, nous essayons de ne pas déprimer et de profiter de la vue sur la mer, que le train longe de près. Il faut ensuite prendre un bus, car la voie de chemin de fer est en réfection. Le chauffeur conduit comme un dingue, ce qui ne choque personne. En fait, sur une route à double sens, les gens conduisent sur la bande d’arrêt d’urgence, pour laisser les plus rapides doubler. Du coup, la voie principale est réduite, et le bus n’hésite pas à doubler même si un autre véhicule se profile en face. Ça me donne un peu mal au cœur, mais heureusement, le conducteur a choisi une radio de chansons folkloriques délicieusement kitsch. A Patras, il fait froid, et de nombreux zonards errent à proximité des quais d’embarquement. Un Irakien nous aborde pour savoir si un ferry part pour l’Italie ce soir. Nous blaguons deux minutes avec un Sénégalais qui vend des parapluies. Ici, on est aux portes de l’Europe qui fait rêver l’Afrique… Nous restons au bord de l’eau un moment puis, quand nous commençons à avoir trop froid, nous entrons dans un petit restaurant familial où nous nous délectons de soupe de poisson et de pommes de terre. Les nappes à carreaux, la décoration vieillotte mais colorée et le large sourire de la patronne, nous remontent un peu le moral.

Notre ferry pour Venise part à minuit, alors il faut encore tuer un peu de temps, dans le hall d’embarquement et la boutique duty-free pleine de cigarettes, chocolats et parfums. Quand, enfin, nous montons à bord, les camionneurs sont loin d’avoir fini d’embarquer. Nous partons finalement vers 1h. En cette saison (nous sommes fin novembre), le ferry est presque vide. On ne croise que les camionneurs esseulés et quelques voyageurs. Les rangées de sièges vides, les buvettes fermées et le bruit de nos pas sur les moquettes bleues et violettes, donnent une impression bizarre, comme si on avait embarqué sur un vaisseau fantôme. Et puis, il ne fait pas chaud. Pourtant, je suis émerveillée : un si beau gros bateau, je n’avais encore jamais vu ça ! Nous explorons chaque pont de fond en comble, pour finalement conclure qu’il n’y a pas grand-chose à faire, à part dormir, lire et regarder le temps qui file dans l’écume, à l’arrière du bateau. Heureusement, nous faisons la connaissance de Marie et Fanfan, qui rentrent d’un tour d’Europe en stop. Avec eux, on ne s’ennuie pas ! Nous regardons ensemble le paquebot larguer ses amarres et s’éloigner de Patras qui, éclairé dans la nuit, semble presque beau. Au loin, un incroyable pont suspendu se bombe au-dessus de l’eau. Et puis il fait trop froid et trop humide, alors on rentre dormir. Jérémie et moi installons nos duvets par terre, dans un coin ; les cabines étaient bien sûr trop chères. De toute façon, il n’y a personne à la ronde. Seule la lumière trop vive nous gêne un peu.

Au petit matin, à l’escale sur l’île de Corfou, quelques passagers supplémentaires montent à bord. Alors qu’il reste plein de places ailleurs, deux Allemands s’installent juste en face de nous, probablement parce que ces sièges correspondent aux numéros de leurs billets. Ils sont discrets, mais l’odeur de leurs sandwiches au saucisson à l’ail, elle, ne l’est pas, et signe la fin de cette nuit trop courte. Jusqu’à l’arrivée à Venise, ils ne bougeront pas de leurs sièges, les bougres ! Quant à nous, nous refaisons le tour du bateau, Jérémie s’octroie un entraînement complet de karaté tandis que je bouquine, nous profitons d’une belle éclaircie pour admirer en plein air les côtes de la mer Adriatique. Nous passons aussi un bon moment avec Marie et Fanfan, qui nous montrent leur carnet de voyage bourré de photos et de collages. Comme ils ont un ordinateur et des films, nous improvisons un cinéma en posant l’ordinateur sur une poubelle, et on rigole bien en regardant L’Italien. La journée passe finalement plus vite que nous l’avions craint. Les camionneurs, quant à eux, se désennuient en jouant aux machines à sous.

Pour cette deuxième nuit à bord, Jérémie et moi avons repéré l’espace de la classe affaires, complètement inoccupé et, surtout, plongé dans l’obscurité. Ici, nous sommes sûrs de n’être dérangés ni par la lumière, ni par des Allemands mangeurs de saucisson à l’ail ! Quand je me lave le lendemain à l’aube, dans la cabine de WC équipée d’un pommeau de douche, je me dis que je commençais à m’habituer à la vie à bord. Pour autant, plus la côte approche, plus je me sens surexcitée. Il faut dire que ça tient chaud, de sauter partout comme une puce. Parce que Venise fin novembre, c’est humide et froid ! Nous avons beau empiler nos tee-shirts, polairs et cirés, nous réalisons que nous ne sommes vraiment pas équipés pour l’hiver européen. Marie et Fanfan qui, eux, avaient d’abord prévu d’aller en Norvège, nous font envie avec leurs énormes anoraks qui leur donnent des airs de scaphandriers. On a les joues fouettées par le froid, et il nous faut régulièrement nous abriter à l’intérieur pour nous protéger des bourrasques. Mais, peu à peu, Venise émerge de la brume, d’abord grise et informe, puis de plus en plus précise et polychrome. C’est un petit matin de dimanche, et la ville semble morte, immobile dans sa profonde hibernation. Mais j’aperçois soudain un parapluie qui, bien ouvert, trotte menu sur un pont arqué comme un sourcil surpris. Et puis les toits et les clochers finissent par prendre forme, à quelques encablures de notre paquebot pesant qui longe les rives à un rythme lent, comme pour signifier sa majesté face aux vaporetti et, à la fois, son respect pour la ville...

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