mardi 16 février 2010

Il faut sauver le soldat Matthew

Nous sommes donc au soir de la quatrieme journee du trek. Nous avons mis huit heures pour revenir de El Mirador, nous voila a Tintal. Nous sommes tous ravis d'enlever nos chaussures, d'enfiler nos sandales. Matthew est couche par terre, son sac comme oreiller; il mange un fruit trouve au sol. Milana est assise, occupee a enlever les pelures de chaussette de ses pieds. Andrew est couche, un bidon pour rehausser les mollets et faire circuler le sang. Magali aussi est allongee, les pieds sur un tronc d'arbre. Nino l'arriero decharge les mules. Angel, notre guide, allume le feu et commence a preparer le plat de spaghettis que nous attendons tous. Suzy plante sa tente. Moi, j'ai deja plante la notre, et je me vautre dans le hamac avec delectation. C'est la que nous entendons un grand cri.

Le guide s'alerte et nous allons voir tous les deux. A 50m sur le chemin, nous trouvons Matthew en short et tongues, sans T-shirt, couche a plat ventre sur le sol. C'est son ventre, il s'en plaignait il y a dix minutes. Je retourne a la tente en courant pour chercher des Spasfons et des antidiarheiques. Le guide et Nino qui nous a rejoint trouvent des feuilles de "pimienta", une plante locale qui anesthesie (?) et ralentit les poisons (a macher aussi en cas de morsure par un serpent). Matthew ne peut pas se lever, il hurle de plus belle, son ventre le torture de douleur.

- Matthew, tu dois te relever pour avaler cette pilule. - Je peux pas. - Si tu dois ! - Un peu plus tard, je peux pas me lever Aaahh ! Fuck, fuck !!! - D'accord, pas de probleme, tu la prendras quand tu voudras. Respire, respire calmement. Tu dois penser a ta respiration. Sens comme c'est bon de souffler. Quand tu te sens pret, tu prends la pilule. C'est quand tu decides. Une nouvelle crise le tord de douleur. Il crie. - N'hesite pas a crier, ca fait du bien. Eh Matthew, tu m'entends. C'est bien. Pense a respirer, tranquillement. Sens comme ton souffle est bon. Eh Matthew, tu m'entends ? Tu m'entends ?! Si tu m'entends bouge ton pouce. C'est bien. Tu m'entends, tu m'entends ?!! Merde, il reagit plus. Heureusement, il respire. Je reste a ses cotes, toujours a lui parler. Par moments, ses a-coups de menton me rassurent.

Notre guide, qui a fume de la marijuana toute la journee, est franchement panique. A 22 ans a peine, c'est son premier accident, et il n'a pas meme de pharmacie. Heureusement, nous sommes arrives au campement de Tintal, dont les deux gardes fabriquent un lit de transport, constitue d'un hamac suspendu a un tronc d'arbre. Nino part en mule chercher une voiture a Carmelita, a 6h de marche de la. Nous allons transporter Matthew a froce d'homme sur un trajet de 2h de marche, jusqu'au point accessible en pick-up. Nous aprvenons a faire avaler un Spasfon a Matthew, puis a le rouler dans le hamac. Il est revenu a lui, dit qu'il va marcher. Il en est incapable, mais qu'il le dise est rassurant.

Commence un trajet long et epuisant. Matthew est un bon gaillard de 1m90, disons 85kg, a quoi il faut ajouter le poids du tronc auquel pend le hamac. Tronc sur l'epaule, un homme devant, un homme derriere. Malgre les serviettes et tissus utilises pour amortir, le tonc meurtrit l'epaule. Aussi le hamac balance, enlevant de la stabilite. Nous sommes cinq au debut : le guide, Andrew, Steve, Marc et moi. Milana, qui nous accompagne, porte un des sac-a-dos. Les relais sont courts, eprouvants. Apres vingt minutes, nous sommes rejoins par les deux gardes du camp. Ils prennent un relais hallucinant, "infini" dira Matthew le lendemain. Les canadiens et moi sommes bluffes par la force de ces guatemalteques : 1m65 avec les semelles, mais quelle resistance ! Angel m'expliquera qu'a 8 ans, il sportent les bidons d'eau dans la foret !

Matthew va de mieux en mieux, ce qui rassure tout le monde. On se marre lors de son arret pipi, ou il nous fait tous tourner, mais ne parvient quand meme pas a uriner. Je lui demande s'il voit des singes dans les arbres; il me dit que non, mais que ce serait trop coll. Moi, alors que le crepuscule tombe et que je marche devant, j'apercois au detour du chemin comme un gros cochon d'Inde, petit esprit de la foret, qui s'enquiert de nos aventures. La nuit tombee n'arrange pas la marche, mais a la lumiere des lampes de poche, nous arrivons a la jonction. Matthew va chier derriere un arbre, avant de se recoucher, nettement soulage. Les gardes font du feu en attendant le pick-up des secours. Matthew et moi disutons de tout et de rien. Il me demande ma religion. Je dis que l'homme descend du singe, et raconte comment Nietzsche a tue Dieu. Nous rions.
Le pick-up arrive finalement. Nino nous apprendra que nous avons eu de la chance. Il y a eu un enterrement la veille, et comme de coutume, les voitures du village sont utilisees pour rendre visite a la famille du defunt. Restait ce pick-up rouge, et par chance, un bidon d'essence qui a permis de faire le plein ! Au cas ou il aille a l'hopital apres, et pour ne pas le laisser y alle seul, je pars avec Matthew, ainsi que le guide et Milana (qui ne le lache plus !). Les medecins, enfins les responsables du poste de secours, expliquent qu'il s'agit d'une colique, qu'il n'y a plus de probleme, mais que sur le coup, la douleur peut etre mortelle. Heureusement que Matthew est un sacre gaillard !
A Carmelita, apres un repas tant attendu chez la belle-soeur d'Angel, nous allons dormir chez sa soeur. Matthew dans un bon lit de camp, Angel et MIlana dans le jardin pour faire leurs affaires, puis dans le grand lit. Moi, dans le hamac. Avant de me coucher, je leve les yeux au ciel, et decouvre stupefait mon horoscope : au zenith se trouvent les Gemeaux (signe de Matthew, qui me fait forcement penser a mon frere Matthieu) et le Cancer (mon signe) au sein duquel trone Mars, le puissant dieu de la guerre...

Suzy et moi, nous nous retrouvons donc d'un seul coup completement seules, dans le camp deserte. Apres l'agitation et la panique, ce brusque silence nous fait bizarre. Nous commençons par ranger un peu les affaires eparpillees, puis preparons une sauce pour les spaghettis qui ont ete oublies dans leur eau de cuisson. Une fois la vaisselle faite, nous nous sentons un peu desoeuvrees. Suzy, qui est pleine de bon sens, fait remarquer que la meilleure attitude a avoir, c'est de s'occuper comme on le ferait habituellement. Alors elle va s'installer dans un hamac, tandis que je sors mon carnet pour ecrire. A la tombee de la nuit, nous nous mettons en quete de bois pour raviver le feu. Et c'est en le surveillant que nous discutons, c'est tres sympa, paisible.
N'empeche que le temps nous parait long, dans la nuit bruissante de bruits. Meme si, comme Susie l'a fait remarquer avec humour, les heros ont besoin de gens qui restent au camp de base, nous commençons a nous demander ou ils sont, les heros, et comment va Matthew. En cherchant quelque chose avec sa lampe de poche, Suzy surprend un scorpion de 10 cm de long en train de courir, a deux pas de nos sieges. On dedramatise en le prenant en photo, mais j'avoue que je n'en mene pas large. Peu de temps apres, enfin, un des gardes revient. Il nous dit que Mathhew, qui va mieux, est parti avec Angel, Milana et Jeremie en voiture, et que les autres sont en train derevenir. Rassurees, Suzy et moi partons nous coucher, chacune dans sa tente.

Reveil a 7h du matin, c'est enfin une belle grasse matinee ! Matin un peu glauque : Milana se fait prendre en photo avec le fusil de chasse de Angel, et lui nous montre un revolver, avec un chargeur plein de balles. Il y a seulement quinze ans que la guerre civile est terminee au Guatemala. Ensuite, baignade a la riviere : trop de bonheur apres 5 jours sans douceh. Matthew est en pleine forme : sa colique a ete aussi violente que subite. Ensuite, je pars a la rencontre de Magali et du reste de la troupe. Angel, pourtant guide en charge du groupe, reste a s'ebattre avec sa polonaise. Quand je les rejoins, trop heureux de retrouver ma petite Gali, tous sont soulages de savoir Matthew en forme. Nous arriverons vers 12h30, largement a temps pour l'unique bus de 13h, que nous manquerons pourtant car le guide est toujours a la riviere. Il n'aura l'idee d'appeller un minibus qui vient de Flores, a 3h de piste, que vers 14h. Baignade biere pour tuer le temps. Heureusement que l'ambiance du groupe est sympa, car nous n'arriverons a l'hotel qu'a 20h30, sous une pluie battante. Tout est bien qui finit bien donc, meme si on se demande presque a quoi bon avoir paye un guide !
Epilogue. Le lendemain, Matthew nous retrouve au cyber-cafe, et vient nous voir. Pour me remercier, il m'offre un porte-cle avec un singe sculpte en bois, parce que "l'homme descend du singe" !

2 commentaires:

  1. [mode relou on] jeremie!!!!!
    c'est un ancêtre commun qu'on partage avec le singe [mode relou off]
    quelle aventure, manquait plus que l'anaconda géant mangeur d'homme et t'avais le scenar du prochain blockbuster hollywoodien...
    bises...

    Lorenz

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  2. [mode relou et demi on] Lorenz !!!
    L'ancetre commun que nous partageons avec les singes actuels peut legitimement etre qualifie de "singe". En ce sens, j'affirme que "l'homme descend du singe"; et si je reconnais que ce "du" devrait etre remplace par un "de certains", je pars du principe que le lecteur attentif effectue implicitement la substitution.
    [mode relou et demi off]
    Toujours ravi de tes commentaires, amuse toi bien avec tes serpents !

    Jeremie

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