Un bus est cense arriver de Kampala, stopper ici a Gulu puis continuer jusqu'a Juba, premiere ville du Sud Soudan, a 200km de la frontiere ougandaise. Nous sommes arrives a 5h30 le matin, pour etre surs, l'attente se fait longue comme une nuit sans sommeil. On entend des grenouilles croasser dans les flaques de pluie, un pretre precher la bonne parole dans une radio trimballee par un homme enveloppe dans un large anorak. Puis les coqs chantent, et la station-service devant laquelle nou attendons, en compagnie de gens du coin, finit par s'eteindre. Il commence a faire bon, on cesse de frissoner. On voit passer les premiers ecoliers en uniforme, des agents de securite a velo avec leur fusil a pompe, puis tout une foule de gens a pied, a bicyclette, a moto, en Jeep. Mais toujours pas de grand bus. A 9h, un dala-dala s'arrete devant nous pour annoncer qu'il va jusqu'a la ville frontiere de Nimule. On est une dizaine a epousseter nos sacs et a monter, mais comme, en tassant bien, le chauffeur peut faire entrer presque le double de passagers, il faut encore attendre une heure avant de demarrer. Cela laisse le temps a moult vendeurs ambulants de venir nous faire l'article de leurs bananes, cravates, dvd, savons dermatologiques. "Mais je n'ai pas de problemes avecma peau !" proteste une femme en riant.
On finit donc par partir. La poussiere de la piste semble rouiller au soleil, tant son rouge eclate le long du paysage vert. Quand la guerre crachait son feu sur le Sud Soudan, la region autour de Gulu a accueilli de nombreux refugies. Cinq ans apres la signature de la paix, les ONG occidentales pour l'education, contre la faim, pour la sante, contre l'exclusion, y restent encore tres actives. Ca nous fait drole de traverrser pareille zone. La piste s'avere mauvaise, on progresse a 20km/h. Et puis on s'arrete : un camion enlise dans des ornieres bloque la circulation, pourtant maigre. Au moment ou, dans un fracas de moteurs et d'eclaboussures boueuses, il se degage enfin, nous ne parvenons plus a rentrer dans le minibus : la portiere s'est bloquee !
Enfin, malgre tout, on arrive au poste frontiere. Passeports tamponnes et argent change, Jeremie et moi pouvons monter dans le grand bus venu de Kampala. Il nous a enfin rattrapes, et il reste juste 3 places ! Je me retrouve assise a cote du copilote, qui me paterne en reglant l'inclinaison de mon siege selon si je dors ou non, et en veillant a ce que j'attache ma ceinture. Cote soudanais, la piste, excellente, traverse une savane vallonnee ou Jeremie apercoit des singes. Moins rigolo, tous les hommes arborent une kalachnikov. Sur un bas cote, un char d'assaut abandonne pointe son canon rouille vers le ciel. Le chauffeur peste contre les types un peu louches qui arretent le bus pour reclamer une "taxe de passage". On n'est pas mecontents de tracer notre route...
Arrivee de nuit a Juba. Seuls quelques hotels luxueux, des epiceries et une fontaine a l'absurde exuberance sont eclaires. On va voir un premier hotel, mais les prix s'affichent en dollar, et a trois chiffres sans virgule ! Dans nos prix, c'est a dire quand meme 25 livres soudanaises (8 euros), on atterrit dans des baraquements en tole, sans electricite (seulement un generateur) ni eau courante. Il est difficile d'appeler "chambre" la cellule dans laquelle nous nous installons : a peine 3m de longueur, guere plus de 1,5m de largeur, un lit une place ou les puces reactiveront mon allergie developpee a Calcutta, sans parler du sol en beton poussiereux impossible a debarrasser de ses fourmis. La nuit, des rats cavalent sous le toit dans un rafus du diable. Le soir, on les voit meme passer sous notre lit et grimper le long du poteau qui soutient le plafond. Ajoutons a cela un vilain neon et un ventilateur poussif qui, de toute facon, ne fonctionne pas la nuit parce que le generateur est eteint, et une moustiquaire trop courte. C'est plus qu'assez pour elire cette chambre la pire du voyage. Et encore, je ne ferai qu'evoquer les toilettes a la turque collectifs rarement nettoyes, la pissotierejaunatre et les cabines de douche ou l'on se lave au baquet avec une eau opaque, tiree du Nil, en essayant de ne pas repenser au type qu'on a surpris en train de pisser dans cette meme cabine de douche.
Le lendemain de notre arrivee, nous allons nous enregistrer a la police comme stipule par la loi soudanaise. En fait, ca ressemble plus au versement d'un dessous-de-table, car ils ne notent nos noms nulle part. Mais au moins, ils tamponnent notre passeport et nous sommes en regle. De retour a l'hotel, nous apprenons qu'en cette saison, la route vers Khartoum est fermee car inondee. En revanche, un des occupants de l'hotel affirme qu'il y a des peniches tous les jours. Il se propose de nous accompagner au port dans l'apres-midi. Nous attendons donc quelques heures. Quand il revient nous voir, il affiche un air mysterieux. "I have mercury to sell" Incredule, je me demande ce que le chanteur de Queen vient faire la, avant de comprendre qu'il pense pouvoir nous refourguer du mercure de contrebande. On rit un peu nerveusement, on dit qu'on n'est pas du tout des businessmen, et on decline prudemment son invitation insistante a aller au port ensemble. Nous nous sentons soudain tres mefiants, a raison d'ailleurs, puisque Jeremie le verra le soir meme glisser un revolver sous son oreiller.
Il regne a Juba une ambiance de Far West, ou des businessmen autoproclames (traduisez des truyands) qui trafiquent du mercure par exemple, des agents de change informel, des employes de l'ONU et de multiples ONG creent un paysage humain des plus etranges. Hormis les hotels de bon standing et quelques boutiques, aucun batiment n'est construit en dur. C'est une ville basse, de toles et de planches, verolee par de grises friches poussiereuses et jonchee de sacs et bouteilles plastiques. En fait, cela ressemble a un vaste camp de refugies qui s'est perennise. D'ailleurs, on n'a jamais vu autant de vendeurs de tentes qu'ici ! Autant dire que nous n'avons guere envie d'y rester, independamment du trou a rats ou nous avons poses nos sacs.
Apres avoir poliment econduit Mister Mercury, nous filons donc au port tous seuls comme des grands. Le bord du Nil est investi par de nombreux campeurs, dont on ne sait pas trop s'ils attendent un prochaind epart de peniche, ou si tout simplement ils vivent la, a proximite de l'eau utile pour se laver, faire la cuisine et la lessive. L'endroit grouille egalement de militaires. On apprend qu'une barge s'apprete a partir pour Kosti le jour meme ! A bord, il y a deja des monceaux de marchandises, des gens, des chevres, des lits de camp. Nous trouvons un responsable qui nous dit que le depart est imminent. Comme on ne sait jamis bien ce que ca veut dire, imminent, dans ces cas la, surtout en Afrique, Jeremie veut foncer, tenter le coup. Seulement, nous ne trouvons pas le militaire cense delivrer les autorisations et il nous faut compter presque une heure pour rentrer au trou a rats recuperer les sacs et revenir. Deja, ca me stresse. Et puis surtout, ce qui m'angoisse, c'est l'idee de monter sur cette barge pour n'enredescendre qu'au bout de 8 jours, alors que nous n'avons aucune provision de nourriture. Car sur ce genre de bateau, le transport de passagers se fait de maniere totalement informelle, chacun devant s'occuper de son propre ravitaillement. Tout ca pour dire que je panique et que nous decidons de ne pas partir dans la precipitation. Nous nous renseignons de nouveau, pour apprendre qu'une autre barge doit partir le surlendemaion, ce qui nous laisse le temps de nous preparer.
Nous passons donc la journee suivante a faire des courses : 5kg de riz, une douzaine de boites de conserves, quelques pommes et oranges, 6 litres d'eau qu'on reremplira ensuite au Nil en traitant avec des micropurs, des biscuits, et meme une tente, car c'est le seul moyen de se proteger du soleil sur la peniche, dont les cabines sont reservees a l'equipage. Pour la derniere nuit avant la semaine sans confort qui nous attend, nous changeons d'hotel et dormons dans un bon lit pour "seulement" 50$.
Le jour J, charges comme des mules, nous debarquons avant 9h au port. Quelqu'un nous dit que finalement, la barge ne partira que le lendemain. Nous ne sommes guere enchantes de passer une journee de plus a Juba, d'autant que notre visa de deux semaines seulement ne nous permettra pas de prendre notre temps dans le Nord du Soudan (5 jours a Juba + 8 jours de descente du Nil = deja 13 jours !) Cela dit, ca reste encore jouable, surtout qu'il est possible de demander a Khartoum au moins une semaine de prolongation de visa. Seulement, au bout d'un moment, quelqu'un vient nous informer que le depart est repousse au surlendemain, autant dire qux callendes pharaoniques. Le seul bateau qui part demain est un petrolier affrete par l'ONU, qui ne prend pas de passagers. Nous essayons de ne pas perdre espoir, et demandons a d'autres barges. Mais les unes sont vides, les autres en reparation.
Il faut se rendre a l'evidence : notre reve est tombe a l'eau. Profonde deception. N'ayant plus rien a faire a Juba, nous filons a l'aeroport, dans l'espoir de prendre le jour meme un avion pour Khartoum, la capitale. Mais le dernier vol est en train d'embarquer. Nous sommes submerges par l'amertume, avec nos sacs lourds comme des montagnes, pleins de provisions desormais absurdes. Il ne nous reste plus qu'a acheter nos billets pour le vol de 7h le lendemain et a rentrer a l'hotel (le bon) popur nous reposer, et essayer de digerer cette deconvenue affreusement difficile a avaler. Heureusement que le personnel de l'hotel aux 3/4 vide est adorable. Et puis il y a un salon ou l'on peut regarder des DVD. Les films disponibles sont au cinema ce que les romans de gare sont a la litterature, mais au moins on se change les idees.
Le lendemain, depart sans histoires mais en retard, comme si Juba se plaisait a jouer les pots de colle. C'est un vol magnifique, et meme si c'est frustrant d'apercevoir de si loin ses courbes lassives, le Nil nous offre al vision fantastique d'un echeveau bleu qui parfois s'effiloche, pour se tresser avecune verdure d'autant plus folle qu'elle emerge du desert. Deux heures plus tard, alors que nous ne nous sommes toujours pas vraiment faits a l'idee, nous atterrissons a Khartoum, qui affiche un petit 37 degres a l'ombre.
samedi 23 octobre 2010
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